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Saisie de navire

Réaffirmation des principes de la Convention de 1952 : L’allégation d’une créance maritime suffit à fonder la saisie, peu importe son fondement - Par François-Xavier Balme

Cour de cassation (Ch. com.) – 8 Mars 2017 > Navire Enigma XKN° 15-21571

Il résulte des dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer que la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1er, 1 de ce traité suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte sans qu’il soit nécessaire de rechercher le fondement juridique ou la cause de ladite créance.

Sté MW AFRITEC c/ Sté EIFFEL INDUSTRIE MARINE

Arrêt (Extraits)

« LA COUR,

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 9 juin 2015), que la société MW Afritec, propriétaire du navire de protection de pêches Enigma XK, a confié à la société Atlantic Refit Center (la société ARC) la transformation de celui-ci en navire d’exploration ; que la société ARC a sous-traité à la société Eiffel industrie marine (la société EIM) la réfection de deux lignes d’arbres ; qu’une fois les travaux achevés, les essais en mer ont révélé des dysfonctionnements imputables, selon une mesure d’expertise ordonnée à la demande de la société MW Afritec, à l’huile de moteur utilisée ; qu’au cours de ces opérations d’expertise, la société EIM a procédé au démontage et au remontage des lignes d’arbres ; que prétendant ne pas avoir reçu le paiement des factures émises pour ces prestations et pour des travaux effectués en exécution du marché initial, la société EIM a saisi à titre conservatoire le navire Enigma XK dans le port de La Rochelle ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société MW Afritec fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à la rétractation de l’ordonnance ayant autorisé cette saisie et de décider que sa mainlevée pouvait être ordonnée moyennant la consignation de la somme de 433 394,50 euros alors, selon le moyen : (omissis)

Mais attendu qu’ayant relevé que la créance alléguée correspondait à la fourniture et à la mise en place d’une grue en exécution du marché initial de transformation du navire en yacht d’exploration ainsi qu’aux opérations de démontage et remontage de deux lignes d’arbres du navire réalisées au cours des opérations d’expertise, la cour d’appel, qui n’avait pas à rechercher le fondement juridique de cette créance, en a exactement déduit sa nature maritime au sens de l’article 1er, 1, k et l de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur les deuxième et troisième moyens, réunis : (omissis)

Mais attendu qu’il résulte des dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer que la simple allégation par le saisissant de l’existence, à son profit, de l’une des créances maritimes visées à l’article 1er, 1 de ce traité suffit à fonder son droit de saisir le navire auquel cette créance se rapporte ; qu’ayant constaté que la créance alléguée était de nature maritime et se rapportait au navire saisi, la cour d’appel, qui n’avait pas à apprécier la contestation de la société MW Afritec portant sur le montant de cette créance, a, à bon droit, rejeté les demandes tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire ou au cantonnement de la somme consignée ; que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société MW Afritec aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Eiffel industrie marine ; M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président), président ; SCP Foussard et Froger, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat(s).

Observations

Par cet arrêt du 8 mars 2017, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient souligner les manques de rigueur terminologique de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, qui constituent autant de pièges à éviter dans l’application du texte. En l’espèce, la société MW Afritec a confié la transformation de son navire Enigma XK au chantier Atlantic Refit Center à La Rochelle, lequel a sous-traité la réfection des deux lignes d’arbres à la société Eiffel Industrie Marine. Lors des essais en mer, plusieurs désordres devaient être constatés, et une expertise judiciaire a été diligentée à la demande de l’armateur. Les dysfonctionnements ont été imputés à l’huile de moteur utilisée et, à la suite d’un accord entre les parties, la société Eiffel Industrie Marine a procédé au remontage des lignes d’arbres sans attendre la fin des opérations d’expertise. A la suite de ces réparations, la société Eiffel Industrie Marine a émis deux factures d’un montant total de 390.430 euros. L’armateur, la société MW Afritec, a cependant vivement contesté ces factures qu’il considérait comme très largement surévaluées.

L’armateur a par conséquent refusé de payer les sommes réclamées, et la société Eiffel Industrie Marine a procédé, sur le fondement de la Convention de Bruxelles de 1952, à la saisie du navire devant le Tribunal de commerce de La Rochelle afin de préserver sa créance à hauteur de 450.000 euros. Celle-ci comprenait donc les factures susvisées ainsi qu’un arriéré de facture et de frais d’un montant de 60.000 euros. Par ordonnance du 4 décembre 2014, le Président du Tribunal de commerce de La Rochelle a autorisé la saisie conservatoire moyennant la consignation de la somme de 433.394,50 euros, saisie confirmée par l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers en date du 9 juin 2015. L’armateur, persuadé du caractère abusif de la saisie, a alors décidé de porter l’affaire en cassation, soutenant que les créances litigieuses n’étaient pas maritimes au sens de la Convention de Bruxelles de 1952 et que, en tout état de cause, la Cour d’appel n’avait pas statué, comme il lui était demandé, sur le montant des créances. On enlèvera que peu de suspense au présent commentaire en observant immédiatement que, d’un point de vue juridique, l’action de l’armateur n’avait guère de chance d’aboutir, dès lors que la créance était manifestement maritime au sens des articles 1-k et l de la Convention de Bruxelles, et qu’il n’appartenait ni à la Cour de cassation ni à la Cour d’appel de réviser le montant de la créance contestée.

La Haute juridiction a ainsi rejeté l’intégralité de l’argumentation de la société MW Afritec. La décision n’en est pas pour autant inintéressante, loin de là. La Cour vient tout d’abord clairement distinguer les notions de « fondement juridique » et de « cause » des créances maritimes au sens de l’article 1er de la Convention de Bruxelles de 1952 (I). Les Hauts magistrats ont par ailleurs rappelé que le juge n’avait pas à apprécier le montant des créances alléguées, même si, à cet égard, quelques précisions s’imposent (II).

Sur les notions de "fondement juridique" et de "cause" au sens de la convention de Bruxelles de 1952

Aux termes de l’article 1er de la Convention de Bruxelles de 1952, la notion de créance maritime doit se comprendre comme l’allégation « d’un droit ou d’une créance ayant l’une des causes » énumérées par cet article. Sont ainsi des créances maritimes celles qui ont pour cause la fourniture, quel qu’en soit le lieu, de produits ou de matériel faite à un navire en vue de son exploitation ou de son entretien (art. 1-k), ainsi que la construction, les réparations, l’équipement d’un navire et les frais de cale (art. 1-l).

Cependant, comme la présente affaire en témoigne, cette terminologie est sujette à caution. La notion de cause peut aussi bien désigner le motif ayant déterminé l’une des parties à contracter, que la contrepartie contractuelle. C’est, du reste, ce qui a très largement justifié la suppression de la notion de cause lors de l’adoption de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[1]. Au cas d’espèce, la société Eiffel Industrie Marine se prévalait de factures au titre, d’une part, de la fourniture et la mise en place d’une grue en exécution du marché initial de transformation du navire en yacht d’exploration et, d’autre part, des opérations de démontage et remontage des deux lignes d’arbres du navire réalisées au cours des opérations d’expertise. L’ensemble de ces factures ont donc manifestement été émises en contrepartie de prestations relevant des articles 1-k et l de la Convention de Bruxelles de 1952.

Malgré l’évidence, l’armateur a tenté, en vain, de jouer de l’ambiguïté de la notion de cause pour obtenir la mainlevée de la saisie. En effet, tant en appel qu’en cassation, la société MW Afritec a su faire preuve d’exotisme en affirmant que la « cause » des créances litigieuses ne correspondait à aucune des créances maritimes visées à l’article 1er de la Convention de Bruxelles de 1952. Naturellement, pour cela, le propriétaire du navire s’est en réalité référé à la cause comprise comme « motif » de la créance. Or, les motifs ou fondements juridiques susceptibles de justifier la créance litigieuse étaient nombreux !

Au cours de la procédure d’appel, la société MW Afritec affirmait ainsi que la somme réclamée par la société Eiffel Industrie Marine correspondait aux frais d’expertise judiciaire, qui n’entraient pas dans la liste des créances maritimes visées par la Convention[2]. L’armateur prétendait également qu’il n’avait aucune relation contractuelle avec la société Eiffel Industrie Marine, dès lors que cette dernière était un sous-traitant du chantier Atlantic Refit Center. Aussi, selon la société MW Afritec, les travaux de réfection réalisés par la société Eiffel Industrie Marine auraient été effectués « pour corriger des erreurs de réalisation » et auraient résidé « dans le fait dommageable dans le cadre d’une responsabilité extracontractuelle ». On l’aura compris, là encore, l’armateur affirmait que les créances extracontractuelles n’entraient pas dans la liste des créances maritimes visées par la Convention.

Bien consciente de la légèreté de son argumentation en appel, la société MW Afritec devait encore faire preuve d’une ultime originalité en affirmant, dans son pourvoi en cassation, que « la cause immédiate de la créance » était en réalité…sa propre faute dans le choix de l’huile utilisée. Or, dans l’esprit de l’armateur, le fait que les dommages puissent résulter d’une faute impliquait que la créance litigieuse soit de nature indemnitaire et, donc, de caractère non maritime au sens de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952.

C’est cette argumentation que rejette la Chambre commerciale : peu importe que la créance trouve son origine dans une expertise judiciaire, qu’il s’agisse d’une créance extracontractuelle ou d’une créance indemnitaire. La « cause » des créances au sens de l’article 1-k et l de la Convention de Bruxelles de 1952 renvoie exclusivement à la contrepartie contractuelle, à savoir, en l’espèce, la fourniture et la mise en place d’une grue en exécution du marché initial de transformation du navire en yacht d’exploration, ainsi qu’aux opérations de démontage et remontage des deux lignes d’arbres du navire réalisées au cours des opérations d’expertise. Cette solution, en parfaite adéquation avec l’esprit du texte, ne peut qu’être approuvée. Aussi, faute de pouvoir obtenir la mainlevée de la saisie, restait la possibilité, pour l’armateur, de solliciter la réduction de la caution. Mais là encore, le succès du pourvoi était très faible.

Sur le contrôle de la vraissemblance du montant de la créance maritime

En Droit

Le second point porté à la connaissance des magistrats de la Cour de cassation concernait le montant des créances émises par la société Eiffel Industrie Marine, que l’armateur considérait comme très largement surévalué. Selon les articles R. 511-4 et R. 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution, il incombe au juge de déterminer le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée, sans quoi la mainlevée de la mesure peut être ordonnée. Or, en l’espèce, la société MW Afritec reprochait aux magistrats de ne pas avoir « pris parti sur le montant de la créance », alors même qu’elle avait produit des devis de travaux établis par une société tierce, d’un montant total très largement inférieur aux sommes réclamées par la société Eiffel Industrie Marine.

La question se posait donc de savoir s’il incombait au juge de procéder au contrôle du montant des créances qui lui étaient soumises. On rappellera que sous le régime de la Convention de Bruxelles de 1952, le demandeur doit simplement « alléguer » une créance maritime au sens de l’article 1er du texte. Pourtant, dans le même temps, la jurisprudence exige que le juge vérifie l’existence d’éléments rendant la créance vraisemblable[3], ce qui est contradictoire. En effet, selon la définition proposée par le Professeur Motulsky, qui fait toujours très largement autorité, il faut entendre la notion de charge d’allégation comme « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[4].

La charge de l’allégation se distingue donc de la charge de la preuve qui s’entent, quant à elle, comme la « nécessité, pour chacune des parties, de fonder, sous peine de perdre le procès, par des moyens légalement admis la conviction du juge quant à la vérité de celles parmi les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs du droit par elle réclamé, qui ont été valablement contestées par son adversaire »[5].

Il existe donc un paradoxe dans les termes utilisés : l’allégation ne suppose pas en principe que les parties rapportent la preuve des faits dont elles se prévalent. C’est pourtant bien ce qu’exige la jurisprudence, qui contrôle la vraisemblance des créances maritimes[6]. Ce paradoxe s’explique par le manque de rigueur terminologique de la Convention de Bruxelles. Lorsque le texte évoque la notion d’allégation, il ne s’agit naturellement pas de la notion d’allégation au sens qu’en donne Motulsky, mais de l’intensité de la preuve exigée par le texte[7]. En effet, si l’on faisait application de la thèse proposée par l’éminent auteur, il appartiendrait au demandeur d’alléguer la réalité de sa créance, et ce ne serait que dans le cas où cette dernière serait contestée que le demandeur devrait en démontrer la réalité. Or, la saisie de navire est réalisée par voie de requête, ce qui écarte, de fait, toute possibilité de contestation de la créance par la partie adverse au moment même où la saisie est ordonnée. Il en résulte, en pratique, que le saisissant se trouve toujours dans l’obligation de rapporter la preuve de la créance alléguée, ce qui nous conduit à l’affirmation selon laquelle le terme d’allégation figurant dans la Convention de Bruxelles ne renvoie aucunement à la notion de charge de l’allégation au sens qu’en donne le Professeur Motulsky.

Cependant, dès lors que la partie se trouve dans l’obligation d’apporter un élément de preuve, se pose alors immanquablement la question de l’intensité de cette preuve, autrement dit de l’intensité de preuve nécessaire pour obtenir la conviction du juge quant à l’existence de la créance[8]. C’est là toute la particularité de la Convention de Bruxelles de 1952. En renvoyant à la notion « d’allégation », le texte invoque en réalité la notion « d’intensité de la preuve » qui se doit d’être particulièrement faible. Pour obtenir la conviction du juge, il faut que ce dernier soit convaincu non pas de la réalité certaine de la créance, mais simplement de sa vraisemblance. En d’autres termes, si l’on devait procéder à un toilettage de la Convention de Bruxelles, il faudrait remplacer la phrase « “Créance Maritime” signifie allégation d’un droit ou d’une créance ayant l’une des causes suivantes » par : « “Créance Maritime” signifie la preuve de la réalité vraisemblable d’un droit ou d’une créance ayant l’une des causes suivantes ».

C’est, du reste, précisément le contrôle exercé par la Cour d’appel de Poitiers dans l’arrêt attaqué, celle-ci insistant sur le fait que « le juge n’a pas à apprécier ni la certitude ni le sérieux de la créance dès qu’il s’agit d’une créance maritime, qu’il suffit qu’elle ne soit pas matériellement inexistante », autrement dit que la preuve de sa réalité soit vraisemblable[9]. Or, il ressort clairement des circonstances de l’espèce que des factures « vraisemblables » ont bien été produites, et donc qu’un montant lui-même « vraisemblable » de la créance litigieuse a été démontré.  La société Eiffel Industrie Marine a ainsi parfaitement rempli ses obligations quant à la charge de la preuve qui lui incombait, de sorte que la décision commentée ne peut qu’être pleinement approuvée à cet égard.

En Fait

Comme nous l’avons très largement souligné, il semblerait que la contestation de la saisie de l’Enigma XK se justifiait essentiellement par des considérations d’ordre pratique : l’armateur s’est senti floué par l’attitude de la société Eiffel Industrie Marine, dès lors que cette dernière a émis des factures d’un montant près de quatre fois plus élevé à quoi elle s’attendait. Aussi, pour l’armateur, les choses étaient claires : les factures ne correspondaient en rien à la réalité des prestations effectuées, et il ne pouvait s’imaginer que le montant des factures, et donc de la caution, n’allait pas pouvoir être révisé à la baisse aux termes des recours judiciaires engagés. Pour cela, cependant, la société MW Afritec aurait dû chercher à démontrer non pas le caractère surévalué des créances, dès lors qu’il n’appartient pas au juge d’en apprécier le montant dans le cadre d’une saisie conservatoire, mais le caractère fictif des postes facturés. Or, l’arrêt d’appel révèle que les juges ont bien vérifié la réalité vraisemblable des travaux facturés : « Attendu qu’AFRITEC conteste le montant des factures relatives à la reprise des travaux d’un montant de 390.429 € en produisant un devis de la société SUD MOTEURS d’un montant de 94.436 €, mais que ce devis est forfaitaire et précise expressément ne pas comprendre un certain nombre de postes notamment : grues, échafaudage, énergies, nacelles élévatrices etc…, que seul l’expert pourra évaluer précisément le coût réel des travaux qui ont été nécessaires à la remise à flot du navire, qu’en l’état rien ne justifie qu’il ne soit pas fait droit à la demande de saisie conservatoire à hauteur du montant retenu par le premier juge soit 433.394,50 € » [10].

L’armateur n’est ainsi pas parvenu à convaincre la Cour d’appel du caractère fictif des prestations facturées. Or, naturellement, l’évaluation du montant des factures contestées relève du fond, de sorte qu’en l’espèce il n’appartenait ni à la Cour d’appel ni à la Cour de cassation de procéder à l’évaluation du montant des travaux effectués. C’est la raison pour laquelle le régime de la saisie conservatoire peut donner l’impression de porter atteinte au droit de propriété[11] : toute personne malveillante pourrait se prévaloir d’une créance surévaluée pour procéder à l’immobilisation d’un navire[12]. Cette analyse nous parait cependant quelque peu hâtive. Il faut en effet rappeler qu’il existe différents « garde-fous » pour prévenir les dérives. L’armateur a en premier lieu la possibilité d’émettre une garantie afin de libérer le navire au plus vite, ce qui ne préjuge en rien du sens de la décision au fond. Il peut par ailleurs solliciter une contre-garantie dans le cas où les conséquences de la saisie seraient manifestement disproportionnées. En outre, l’armateur pourra toujours se retourner contre le créancier s’il apparaissait que la saisie était abusive[13].

Surtout, dans le cadre de réparations effectuées sur un navire, l’armateur dispose de nombreuses solutions pour se prémunir contre les abus, ne serait-ce qu’en choisissant un chantier naval réputé ou en sollicitant un devis avant la réalisation des travaux. Or, il ne ressort à aucun moment des faits de l’espèce que l’armateur aurait sollicité l’établissement d’un devis, et ce malgré l’importance des travaux entrepris. La situation est d’autant plus curieuse qu’une expertise judiciaire était en cours, et que l’on imagine mal que des travaux soient effectués dans le cadre d’une telle procédure sans établissement d’un devis accepté tant par les parties que par l’expert judiciaire.

Il est certain que la procédure de la saisie conservatoire de navire ne peut venir combler les lacunes des parties quant à la gestion de leurs affaires. L’on ne saurait ainsi trop insister sur l’importance de s’entourer de Conseils lorsque des travaux d’importance sont entrepris, une telle précaution constituant assurément le moyen le plus efficace pour se prémunir contre les dérapages et potentiels abus. On ne pourra en tout état de cause qu’approuver la solution ainsi adoptée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui réaffirme avec vigueur les principes de la saisie conservatoire de navire au sens de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, même si l’on peut regretter que la Haute juridiction n’ait pas saisi l’occasion pour énoncer d’une manière claire et définitive le critère de la « vraisemblance » dans le contrôle de l’existence des créances maritimes.

  • [1] V. notamment à cet égard, G. WICKER, « La suppression de la cause par le projet d’ordonnance : la chose sans le mot ? », D. 2015, p. 1557.
  • [2] V. CA Poitiers, 9 juin 2015, navire Enigma XK, DMF 2017 n° 787, p. 43, obs. FX Balme.
  • [3] CA Aix-en-Provence, 3 oct. 2014, DMF 2015 n° 766, p. 144, obs. S. Lootgieter ; CA Aix-en-Provence, 16 oct. 2014, DMF 2015 n° 766, p. 147, obs. S. Lootgieter.
  • [4] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, Dalloz, 2002, p. 89.
  • [5] Ibid, p. 131.
  • [6] CA Aix-en-Provence, 3 oct. 2014, DMF 2015 n° 766, p. 144, obs. S. Lootgieter ; CA Aix-en-Provence, 16 oct. 2014, DMF 2015 n° 766, p. 147, obs. S. Lootgieter.
  • [7] Sur la notion d’intensité objective de la preuve, voir : F.X. BALME, Contribution théorique et pratique au droit de la preuve, PUAM, 2017, n° 173 et s.
  • [8] Ibid.
  • [9] CA Poitiers, 9 juin 2015, navire Enigma XK, DMF 2017 n° 787, p. 43, obs. FX Balme.
  • [10] CA Poitiers, 9 juin 2015, navire Enigma XK, DMF 2017 n° 787, p. 43, obs. FX Balme.
  • [11] Ibid.
  • [12] V. notamment C. BOURAYNE, « Qu’il est bon de se prévaloir d’une créance maritime sous le ciel de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 ! », DMF 2015, n° 772.
  • [13] Par exemple : CA Douai, 8 nov. 2011, navire Bering Wind, DMF 2012 n° 740, p. 813, obs. J. Lecat ; CA Aix 21 sept. 2011, navire Scandinavia, DMF 2012 n° 740, p. 807, obs. S. Lootgieter ; CA Paris, 2 juillet 2008, n° 05-22878, DMF 2009 n° 700, p. 160, obs. S. Sana-Chaille de Nere.
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